L'ÉGLISE ET L'ARMÉE

Le cléricalisme, voilà l'ennemi - Léon Gambetta à la chambre - 4 mai 1877

Je bois à la destruction du Phylloxera, le phylloxera qui se cache sous la vigne et le phylloxera que l'on cache avec des feuilles de vigne. Pour le premier nous avons le sulfure de carbone, pour le second l'article 7 de la loi Ferry. S'il ne répond pas à notre attente, nous n'hésiterons pas à chercher un autre insecticide plus énergique pour sauver la France - Paul Bert, lors d'un banquet anticlérical en 1879

<= L'armée française de l'été 14


À la belle-époque l'anticléricalisme est le ciment du parti républicain, et constitue le dénominateur commun des gauches qui arrivent au pouvoir suite à l'affaire Dreyfus. Cela n'est pas dû seulement au faible gout des catholiques pour la république, mais à quelque chose de plus profond, d'ordre philosophique et doctrinal. Un des buts du parti républicain reste la sépararation de l'Eglise et de l'état, donc la révision du concordat de 1801.

L'hostilité est d'autant plus prononcée que l'Eglise catholique est en plein renouveau, l'élan religieux des années 1815-1830 ayant porté ses fruits: les congrégations sont florissantes, le nombre de prétres augmente, on ne compte plus le nombres d'écoles, de collèges, hopitaux, orphelinats, tenus par des religieux. Ils scolarisent notamment les aristocrates, les fils d'officiers et de bourgeois, et ont de plus le quasi monopole de l'enseignement féminin. 

Plus encore que le clergé séculier, soumis au concordat, les congrégations cristallisent le rejet des républicains, car elles ne leur sont en aucune façon soumises. 

Jules ferry, ministre de l'instruction publique, signe deux décrets en 1880, le premier pour expulser les jésuites dans un délai de trois mois, au prétexte que ceux-ci sont des étrangers de par leur obédience et que les étrangers n'ont pas le droit d'enseigner en France. Le second pour menacer du même sort les membres des autres congrégations masculines, en les obligeant à solliciter des autorisations au gouvernement, que Jules Ferry est bien décidé à refuser.

Les jésuites sont chassés à la force des baïonnettes à Paris et en province. Les autres congrégations étant décidées à ne pas demander leurs autorisations sont expulsées elles aussi, le tout dans un climat d'extrême violence. 

L'armée enfonce la porte de l'église d'Yssingeaux (Haute-Loire) afin de procéder à l'inventaire des biens du clergé

L'armée enfonce la porte de l'église d'Yssingeaux

Enlèvement d'un crucifix dans une école parisienne:

Dans le même mouvement, l'école gratuite, laïque et obligatoire est instaurée. La gratuité et le caractère obligatoire ne datent pas de cette époque, la nouveauté c'est la laïcité. Un des buts de l'école de Jules Ferry est de déchristianiser le pays, par le biais d'instituteurs républicains luttant efficacement contre le monarchisme et le cléricalisme dans les jeunes consciences. En 1886 une loi décréte la laïcisation du personnel, mais comme on manque de personnel, le remplacement des religieuses et des fréres n'est effectué que petit à petit. 

Parce qu'elles sont trés populaires, les congrégations féminines n'ont fait l'objet d'aucune mesures répressives. Dans les années suivantes les congrégations masculines reviennent discrétement. Le gouvernement ferme les yeux, de peur de ranimer les troubles des années 1880. En 1892 le pape Léon XIII recommande aux catholiques de reconnaitre le régime, dans un souci d'apaisement. De 1893 à 1898 les modérés sont au pouvoir, les persécutions font une pause. 

En 1899, en plein affaire Dreyfus, Waldeck-Rousseau forme un gouvernement de défense républicaine. L'anticléricalisme reprend de plus belle. Il prévoit la dissolution des congrégations et la nationalisation de leur biens, et fait campagne en ce sens. Son arme sera la loi sur les associations, votée le 1er juillet 1901. Absolument fondatrice pour les associations, elle prévoit en ses articles 13 et 14 des dispositions spéciales pour les congrégations religieuses, et deviendra l'arme de répression menées contre elles à partir de 1902 par le ministère Emile Combes:

Article 13 : Toute congrégation religieuse peut obtenir la reconnaissance légale par décret rendu sur avis conforme du Conseil d'Etat ; les dispositions relatives aux congrégations antérieurement autorisées leur sont applicables. La reconnaissance légale pourra être accordée à tout nouvel établissement congréganiste en vertu d'un décret en Conseil d'Etat. La dissolution de la congrégation ou la suppression de tout établissement ne peut être prononcée que par décret sur avis conforme du Conseil d'Etat.

Article 14 : Nul n'est admis à diriger, soit directement, soit par personne interposée, un établissement d'enseignement, de quelque ordre qu'il soit, ni à y donner l'enseignement, s'il appartient à une congrégation religieuse non autorisée.

Les autorisations demandées par les religieux sont en effet rejetées en bloc, et des expulsions s'ensuivent, non sans heurts avec des foules restées catholiques. 

En 1902, le ministère Combes retire le droit d'enseigner à tous les établissements ouverts sans autorisation par les congrégations, soit 125 écoles de filles. Puis il fait fermer 3000 écoles qui croyaient ne pas avoir besoin d'autorisation, car ouvertes avant 1901. Religieux et religieuses sont chassés de leurs couvents. En juillet 1904 c'est toute pratique de l'enseignement qui est interdite aux congrégations, autorisées ou non. 

En tout plus de 17.000 oeuvres congréganistes sont fermées et plus de 50.000 religieux et religieuses doivent quitter leur propre pays.

Si les partis de gauche aspirent à révoquer le concordat, Combes estime avec raison que celui-ci permet en fait d'avoir un controle sur l'épiscopat, avec la possibilité de nommer les évêques et de controler les publications du saint-siège. Lors de la visite du président Loubet à Rome, le saint-siège proteste auprés du quai d'Orsay, car cela signifie la reconnaissance par la république de l'annexion des états pontificaux, ce que le saint-siège refuse de reconnaitre. Le gouvernement réplique par la rupture des relations diplomatiques avec celui-ci.

Affrontements entre force de l'ordre et paroissiens lors des inventaires:

Affrontements lors de l'inventaire des biens de l'Eglise

Emile Combes:

Emile Combes

En 1905 est enfin votée la loi de séparation de l'Eglise et de l'état par le ministère Rouvier (Combes est tombé à cause de l'affaire des fiches), qui fait que la république ne salarie ni ne finance aucun culte, mais garantit le libre exercice de toute religion. Les biens des paroisses sont désormais propriété de l'état et dévolus à des associations culturelles. 

L'inventaire des biens de l'Eglise provoque des incidents spectaculaires, les catholiques craingnant de perdre leurs églises. Le gouvernement accepte alors un compromis, par une loi de 1907: les palais épiscopaux et couvents deviennent des mairies, tribunaux, etc. tandis que le clergé devient occupant à titre juridique des cathédrales, églises et presbytères.

Ainsi la sécularisation de la France, interrompue par un essor religieux au XIX° siècle, a repris son cours. L'état est devenu totalement laïc, unique en son genre en occident. Ce fut pourtant grâce à une législation disciminatoire inique qui faisait des catholiques de parias dans un pays où ils étaient pourtant majoritaires.

Expulsion des chartreux 1903:

Expulsion des chartreux en 1903

Là encore, l'armée est déchirée. Devant encadrer des opérations de police contre des couvents ou des églises, les officiers catholiques sont devant un cas de conscience: beaucoup, plusieurs milliers, sont acculés à la démission.

Les Congrégations en province, la résistance en Bretagne - Supplément illustré du petit journal - 17 août 1902:

Congrégations en province


La Marseilleise anticléricale (1881): L'auteur de cette Marseilleise anticléricale, dont on trouvera le texte ci-dessous, est un certain Marie Jogand-Pagés, dit Léo Taxil, républicain, violemment anticlérical, franc-maçon et auteur d'un canular assez célèbre où ont été piégés le pape et les évêques de France. En 1893 parait en effet un ouvrage intitulé Le diable au XIX° siècle, signé d'un certain docteur Bataille et prétendant transmettre les révélations de Diana Vaughan, membre repentie d'une organisation secrète, le Palladium, fédérant juifs, francs-maçons et satanistes dans le but de s'emparer du pouvoir mondial. Les milieux catholiques s'émeuvent, beaucoup se laissent convaincre de la réalité de ces révélations, jusqu'à Thérèse de Lisieux qui ira jusqu'à écrire à Diana Vaughan. En 1897 Léo Taxil révèle la supercherie, c'est lui même qui a tout inventé, ridiculisant par là même la naïveté d'un certain milieu catholique. Cela donne le ton et l'état d'esprit des anticléricaux de l'époque. On peut se procurer une version enregistrée de cette chanson dans l'album chansons contre de Marc Ogeret.

- 1 -

Allons ! Fils de la République,
Le jour du vote est arrivé !
Contre nous de la noire clique
L'oriflamme ignoble est levé. (bis)
Entendez-vous tous ces infâmes
Croasser leurs stupides chants ?
Ils voudraient encore, les brigands,
Salir nos enfants et nos femmes !

Refrain

Aux urnes, citoyens, contre les cléricaux !
Votons, votons et que nos voix
Dispersent les corbeaux !

- 2 -

Que veut cette maudite engeance,
Cette canaille à jupon noir ?
Elle veut étouffer la France
sous la calotte et l'éteignoir ! (bis)
Mais de nos bulletins de vote
Nous accablerons ces gredins,
Et les voix de tous les scrutins
Leur crieront : A bas la calotte !

- 3 -

Quoi ! Ces curés et leurs vicaires
Feraient la loi dans nos foyers !
Quoi ! Ces assassins de nos pères
Seraient un jour nos meurtriers ! (bis)
Car ces cafards, de vile race,
Sont nés pour être inquisiteurs...
A la porte, les imposteurs !
Place à la République ! Place !

- 4 -

Tremblez, coquins ! Cachez-vous, traîtres !
Disparaissez loin de nos yeux !
Le Peuple ne veut plus des prêtres,
Patrie et Loi, voilà ses dieux (bis)
Assez de vos pratiques niaises !
Les vices sont vos qualités.
Vous réclamez des libertés ?
Il n'en est pas pour les punaises !

- 5 -

Citoyens, punissons les crimes
De ces immondes calotins,
N'ayons pitié que des victimes
Que la foi transforme en crétins (bis)
Mais les voleurs, les hypocrites,
Mais les gros moines fainéants,
Mais les escrocs, les charlatans...
Pas de pitié pour les jésuites !

- 6 -

Que la haine de l'imposture
Inspire nos votes vengeurs !
Expulsons l'horrible tonsure,
Hors de France, les malfaiteurs ! (bis)
Formons l'union radicale,
Allons au scrutin le front haut :
Pour sauver le pays il faut
Une chambre anticléricale.


Prétres suivant un régiment

Sources: La grande guerre des hommes de Dieu - Alain Touza - éditions DRAC - 2014
Droits du religieux ancien combattant / Défense et renouveau de l'action civique
La belle époque - Michel Winock - Tempus - 2003