LES TENTATIVES DE RÉFORMES DE L'UNIFORME
Ainsi la France fût le seul pays en 1914 à partir en guerre sans tenue adaptée à la guerre moderne. On reste pourtant étonné d'apprendre qu'en France il y eut plus d'essais de tenues de couleurs ternes que partout ailleurs. On sentait bien que le rouge garance était trop visible, l'expèrience de la guerre des boers ayant montré la nécessité d'une tenue camouflée (on parlait à l'époque d'invisibilité). Toutefois aucune de ces tentatives ne fût suivie d'adoption. Les partisans du pantalon garance avaient toutefois l'excuse que les spécialistes étaient loin d'être d'accord sur sa visibilité, en réalité d'un rouge trés éteint. Ainsi on pouvait entendre les arguments suivants:
En fait, les tenues d'essai furent l'objet de vives critiques qui les firent abandonner les unes aprés les autres, et c'est vraisemblablement cette recherche du mieux qui a conduit à la conservation de la tenue traditionnelle jusqu'en 1914. Dans ses mémoires Joffre cite un cas comparable pour les cuisines roulantes, dont l'adoption aurait notamment permis d'alléger le sac du fantassin (cf. Les Cuisines Roulantes). Ainsi l'armée française de l'été 14 partit en campagne sans tenue adaptée à la guerre moderne et sans cuisine roulante.
Le seul ordre ferme de réforme interviendra le 27 juillet 1914, quelques jours avant la déclaration de guerre, mais il sera bien sur trop tard pour l'appliquer avant les premières hostilités.
Il reste à préciser que ce fameux pantalon n'est sans doute pas le principal facteur des pertes élevées du début de la guerre, mais bel et bien la doctrine de l'offensive à outrance (cf. doctrine militaire à l'entrée en guerre).
Casque mis à l'essai en 1902:
Casque d'artillerie second modèle (à gauche) et celui essayé en 1913 (à droite):
Le chapeau brun à large bords protége de la pluie et du soleil (c'est cet élément qui a conduit à l'appellation de tenue "boër"). Les encombrantes cartouchières à la ceinture étaient remplacées par des cartouchières en bandoulière, comme c'est le cas chez les anglais, ce qui devait faciliter le tir couché, nécessité moderne!
On aurait du avoir: chapeau boër, avec bord relevé par la cocarde nationale, culotte et vareuse de laine gros bleu de même nuance avec bouton corozo noir. Comme coiffure on pensait aussi au bonnet de police à visière, à l'autrichienne. Donc, plus de boutons en métal, plus de plaques de ceinturon mais des agraphes brunies, etc.
Il s'agissait d'une tenue de campagne simple, pratique, hygiènique, d'un coût modique, et dont la coiffure était sans doute l'élément le plus discutable. On ignore encore les véritables raisons ayant conduit à son abandon.
Les cadres de la compagnie boer:
Sergent major du 28°RI:
Tenue de de corvée (à gauche) et de sortie (à droite):
Pour comparaison groupe de combattants Boers en 1900
Il semble que la coiffure ait particulièrement préoccupé la commission, qui en fit essayer trois: un képi "ovalaire", essayé à Lille, un casque et un béret essayés à Amiens. Le béret en drap beige-bleu était semblable à celui des chasseurs alpins, tandis que le casque lui aussi en drap beige-bleu était semblable au casque colonial. Il avait comme ornement une grenade surmontée d'une cocarde tricolore et d'un pompon. on sait que sa forme haute fut vivement critiquée.
On ignore là encore les véritables raisons ayant conduit à l'abandon de cette tenue, peut être sa couleur ou quelques détails auxquels on aurait sans doute pu remédier.
Tout se tient et le soldat endosse tout l'équipement d'un coup:
Les subdivisons d'armes se distinguent par la couleur des boutons, les pattes de parement "à la suédoise" (en fait un élément archaïque qui refait son apparition), les passepoils du pantalon, les pattes d'épaules et la couleur des écussons. Les insignes de grade seront peu voyants (amélioration trés importante).
Les soldats à pieds ont une vareuse, une capote et un pantalon avec des bandes molletières et seront coiffés d'un casque en liège recouvert d'un drap gris vert. Ce casque sera surmonté d'un cimier bas métallique amovible en temps de paix, remplacé par une cocarde tricolore moins visible en temps de guerre. Les officiers auront une casquette avec visière, leur sabre sera remplacé par un sabre court légérement courbe.
Les cavaliers ont une vareuse, un manteau et une culotte, avec de fausses bottes. Ils ne porteront plus le képi, les dragons et les cuirassiers garderont leur casque actuel, les hussards et les chasseurs auront un nouveau casque. En campagne les casques seront revêtus d'un manchon.
A l'instar de la tenue böer, nous avions là une tenue de campagne simple, pratique, hygiènique, peu coûteuse. Malheureusement cette tenue, promise à un brillant avenir, perd son plus farouche défenseur, le ministre de la guerre Maurice Berteaux, tué par un avion lors d'un meeting aérien. Ainsi l'essai tourne court aprés les manœuvres du 6° corps en septembre. Son successeur, Messimy, se laisse convaincre par les nombreux opposants au vert réséda, de continuer les essais sur le nouvel uniforme. Il écrira pourtant dans ses mémoires: L'expérience ayant été concluante du point de vue tactique, j'estimais qu'elle était sans réplique et je me proposais de passer à l'exécution des marchés. Mais j'avais compté sans les journaux et surtout sans les commissions de la chambre; les uns et les autres furent d'accord pour réclamer "patriotiquement" le maintien du pantalon rouge et s'opposer à l'adoption de la nouvelle tenue... Je décidais donc qu'on devrait rechercher dans les teintes neutres une couleur plus plaisante que le vert réséda, auquel on avait opposé des critiques unanimes, et une tenue plus seyante que celle utilisées aux manoeuvres.
Si ce ministre a aussi écrit: Cet attachement aveugle et imbécile à la plus voyante de toutes les couleurs devait avoir de cruelles consèquences, on ne peut qu'être étonné qu'il n'ait pas plus insisté pour faire adopter la tenue réséda.
Uniforme réséda infanterie (à gauche) et d'artillerie et cavalerie (à droite):
Essai de la tenue réséda en corps de troupes - Grandes manoeuvres 1911:
Ci-dessous casque de troupier, vareuse et képi d'officier réséda - musée des invalides:
Casque réséda version tenue de campagne, sans le cimier amovible
Restent seuls en cause les fantassins. Nous constatons que dans leur tenue, la visibilité est augmentée par l'encadrement de la capote bleue entre un pantalon et un képi rouges. Le problème ainsi limité, la solution est fort simple. Le rouge du pantalon, déjà masqué en grande partie par la capote et les jambières de cuir, deviendra tout à fait invisible si on donne à notre infanterie des bandes molletières en drap de capote. Quant au képi, on pourra se borner à le recouvrir en temps de guerre, comme l'a proposé M. Paul Cossu, d'un manchon couvre-nuque de la même nuance que la capote. Il est donc possible d'obtenir le résultat recherché - une invisibilité relative - sans apporter une onéreuse perturbation dans nos approvisionnements de guerre...
Nous avons des préoccupations plus graves et nous avons le devoir de vous demander si la couleur réséda élévera le moral de notre armée. Or il est à prévoir que le soldat finira par s'exagérer le danger contre lequel on veut le protéger. S'il voit ses chefs eux mêmes lui donner le moyen de se dissimuler, l'obliger pour ainsi dire à disparaître du terrain de combat, il aura une tendance à continuer cette dissimulation par des moyens plus énergiques... Il ne faut pas apprendre à se cacher à un soldat auquel l'amour propre, le désir de paraître, de se distinguer font accomplir des prodiges.
D'ailleurs, pour éviter un danger illusoire, on court au devant d'un danger certain. Si tout les combattants amis et ennemis sont habillés à peu prés de la même nuance, bien habile qui reconnaîtra les siens sur les futurs champs de batailles... Ne serait il pas souverainement imprudent de laisser se grouper autour de notre drapeau des uniformes presque allemands?
D'autres considérations interviennent encore. Dés le temps de paix nous devons donner aux jeunes gens le goût militaire... Chez les militaires, la négligence et le laisser-aller passent vite des vêtements à l'allure et de l'allure aux actes. L'amour de l'uniforme est aussi un des principaux motifs de rengagement dont nous avons un besoin absolu pour certaines troupes. Ce serait risquer d'en diminuer, sinon d'en tarir la source, que de retirer aux sous-officiers et aux soldats les petites distinctions qui satisfont bien innocemment leur amour propre...
En cherchant à rendre moins visibles, moins brillant nos uniformes actuels, on a donc dépassé le but. Faire disparaître tout ce qui est de couleur, tout ce qui donne au soldat un aspects gai, entraînant, rechercher des couleurs ternes et effacées, c'est aller à la fois contre le goût français et contre les exigences de la vie militaire.
Enfin sans être conservateur à outrance, il est permis de penser que cette habitude qu'à notre œil des uniformes actuels a son importance. Le pantalon rouge a quelque chose de national. Au lendemain des jours de deuil, c'est dans l'uniforme traditionnel que nous avons enveloppé l'armée de la république et toutes les espérances que nous avons fondées sur elle. Nous voulons donc conserver à notre uniforme ces caractères qui nous attachent tant à lui. La transformation radicale de nos alertes petits troupiers en lourds "réséda" nous paraît une mutilation.
Ce n'est pas à dire que tout est pour le mieux et que nos uniformes intangibles doivent rester absolument tels qu'ils sont. Nous ne voulons pas de gaieté de coeur favoriser le tir de l'ennemi sur nous et sur nos enfants. Des améliorations sont possibles, il faut les chercher. La visibilité d'une troupe tient beaucoup moins à la couleur des vêtements qu'aux accessoires. Supprimons de la tenue de campagnes toutes les parties scintillantes. Les teintes nationales peuvent être adoucies de façon à être moins visibles, tout en restant dans le même rapport. Les éléments d'agrément de l'uniforme doivent être conservés, développés même; on n'est pas obligé de les porter en campagne. Les vêtements doivent être seyants, variés, agréables à l'œil, d'aspect gai et martial, l'équipement et le havresac commodes et peu embarassants.
Le ministre de la guerre semble avoir partagé nos opinions et être entré dans la voie que nous traçons. Répudiant le réséda universel, il a manifesté sa volonté de conserver le pantalon rouge qui n'est d'ailleurs pas la partie la plus visible de notre uniforme. Il a confié à deux artistes, dont l'un est l'honneur même de la peinture militaire française, nous avons nommé M. détaille, le soin de rechercher l'accord de l'art avec les nécessités d'un habillement simple et pratique, d'établir l'harmonie de couleurs et de formes qui, tout en laissant notre œil sous la même impression générale, abaissera ce que nos teintes actuelles ont de trop voyant et laissera cependant à nos uniformes un aspect nettement différent de celui des autres nations. Nous avons deux grands caractères à conserver: le caractère national et le caractère artistique, deux traditions à allier: notre cocarde et notre goût. Leur union ne peut être assuré par des mains plus habiles.
La cavalerie: Georges Scott s'occupa de l'uniforme de la cavalerie. Pour lui une tenue peu visible ne présentait pas d'intérêt, puisque "on ne distingue que les chevaux et que le cavalier ne compte pour ainsi dire pas". Il ne s'occupa pour ainsi dire que de panache, avec notamment un essai de nouveau casque pour la cavalerie légère.
Casque de hussard conçu par Georges Scott en 1912:
Finalement, aprés des années d'essais, on retint en 1913 pour la cavalerie légère un casque trés voisin de celui que portaient depuis quatre décennies les dragons et cuirassiers. Ci-dessous casque de hussards modèle 1913 (à gauche) et casque de chasseurs modèle 1913 (à droite):
La tenue Détaille: Edouard Detaille conçut l'uniforme de l'infanterie et proposa une grande tenue et une tenue de campagne. La culotte garance était conservée, préférée au pantalon, car les jambes serrées dans les bandes molletières étaient ainsi bien dégagées.
Pour la tenue de campagne, la capote était en drap bleu-cendré à large col rabattu avec deux grandes poches en travers et sans boutons apparents. La vareuse était confectionnée dans le même drap, mais différents modèles furent proposés. On conservait le képi, mais celui-ci était recouvert de cuir (amélioration certaine).
La grande tenue était composée d'une tunique bleue bordée d'un passepoil garance, à neuf boutons, collet droit et parements rouges. Les clairons et tambours portaient une tunique ornée de huit galons plats en brandebourg.
Le peintre explique se choix dans l'illustration du 9 mars 1912: J'ai été guidé, en créant ces tenues, d'abord par l'observation et le respect des vieilles traditions nationales, ensuite par les nécessités pratiques et les nouvelles habitudes sportives qui, forcément, doivent modifier les coupes des uniformes. Il n'est nullement question de changer de fond en comble les tenues de l'armée... Il est nécessaire de bien nous différencier, et par tout les moyens possibles, des tenues portées par toutes les autres armées; Il est indispensable quand on distinguera à la lorgnette un peu de garance aux képis, de savoir qu'il ne faut pas tirer dessus.
L'élément le plus original était le casque, appellé bourguignotte, réservé à la grande tenue, car on le considérait comme trop lourd pour la tenue de campagne. Il était en cuir bouilli pour l'infanterie (ci. 550g) et en acier bruni pour l'artillerie (ci. 950g). Son concepteur le présentait comme le vieux casque français par excellence.
Fantassins en grande tenue Détaille:
Il revient à Alexandre Millerand, successeur de Messimy à la guerre, de mettre à l'essai deux uniformes:
1er rang grande tenue Détaille avec tunique bleue foncée - 2° rang tenue réséda modifiée - troisième rang tenue Détaille avec vareuse bleue cendrée:
Hommes du 28°RI en tenue réséda modifiée:
Le drap tricolore: Peu de temps aprés, la commission Dubail s'étant remise au travail, on pensa trouver la solution dans un drap dit tricolore, composé de laine bleue (60%), rouge (30%) et blanche (10%), qui selon le professeur Moureu, produisait sur l'œil une impression de bleu mal défini. La déclaration de guerre empêcha de confectionner des tenues d'essais dans ce drap.
Pour le reste de l'armée, une seule solution est envisageable, se tourner vers l'essai en cours, celui du drap tricolore. Le professeur Charles Moureu, ayant exercé des fonctions de premier plan au sein de la commission des études et expériences chimiques du ministère de la guerre, s'exprima ainsi dans son ouvrage cité en bibiographie:
Lorsque l'urgence de la situation imposa enfin la nécessité d'une solution immédiate, nous nous trouvions privés de rouge d'alizarine, que nous importions en totalité d'Allemagne. Il fallut renoncer à l'un des éléments du drap tricolore, et l'on se contenta d'un drap composé de laine bleu-indigo et de laine-blanche. Telle est l'origine de ce bleu-horizon auquel l'histoire sera bien forcée d'accorder l'absolution que les techniciens lui refusent à bon droit
L'appellation officielle fut drap bleu clair, bientôt connu de tous sous l'appellation bleu-horizon. C'était une couleur salissante et plutôt visible, mais malgré ses imperfections elle fut employée durant toute la guerre. On ne sait pas pourquoi on n'est pas revenu à d'autres couleurs au cours de la guerre, notamment au drap tricolore lorsqu'on sut enfin fabriquer l'alizarine en France?
Nouvelles tenues commençant à êtres employées au printemps 1915:
L'évolution:
Couleurs fréquemment rencontrées dans les années 20 et 30: bleu horizon, gris de fer bleuté (chasseurs) et kaki américain
=> Le nouvel uniforme bleu horizon
Annexe: Les uniformes et leurs couleurs selon l'Almanach du drapeau de l'année 1900