LE SAVOIR VIVRE À LA BELLE-ÉPOQUE

OU: LA BARONNE STAFFE

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Une mauvaise écriture est une des formes du mépris qu'on a pour autrui, car elle prouve qu'on attache plus de prix à son propre temps qu'à celui des autres - Grotius


À plusieurs égards le XIX° siècle peut être considéré comme l'age d'or de la politesse bourgeoise. Alors que la révolution avait violemment mis en cause la politesse de l'ancien régime, jugée frivole et inégalitaire, l'arrivée de Bonaparte au pouvoir (1799), puis surtout la restauration de 1814, vont marquer un retour aux principes du savoir-vivre. Mais alors que la politesse aristocratique était centralisée (la cour donnait le ton) et qu'un noble, un bourgeois ou un paysan n'avaient pas le même code de conduite, la nouvelle politesse était celle d'une société bourgeoise, relativement égalitaire, où les normes de bienséances tendaient à être les mêmes pour tous.

Bien sur, la politesse est souvent alors perçue comme un moyen de reconnaissance, pour se distinguer des paysans et des prolétaires, et créer ainsi de nouvelles barrières. Mais ces barrières sont mouvantes, tout comme les frontières de la bourgeoisie. Au fur et à mesure de leur diffusion, jusque dans les milieux les plus modestes, la sophistication progressive des régles de savoir-vivre leur permet d'être encore un outil de distinction. De là s'explique le développement fulgurant des manuels de savoir-vivre, genre littéraire à part entière et rendu sociologiquement indispensable. 


La Baronne Staffe (Blanche Soyer, 1843-1911): Dans le lot des auteurs de ces manuels, presque tous féminins, et avec des noms aristocratiques inventés la plupart du temps, la baronne Staffe reste la plus célébre, avec ses Usages du monde: règles de savoir-vivre dans la société moderne, qui furent une référence incontournable pour des générations de français(e)s. Or loin d'être une compilatrice de mœurs anciennes, elle va au contraire participer à leur élaboration, en prétendant élaguer quelques moeurs vieillies (contemporains de la vapeur et de l'électricité, nous ne pouvons avoir les lentes et majestueuses façons du siècle des perruques), mais en gardant les branches maitresses des bienséances. Le plus curieux est que cette vieille demoiselle était de la trés petite bourgeoisie de province, vivait recluse et absolument pas mondaine. 

La lecture de la baronne Staffe rappelle tout un monde qui n'est plus, enseveli dans le cataclysme des guerres mondiales, d'où la nostalgie qu'il génére. Selon la baronne la société française serait le modèle envié et copié de toute l'Europe, sachant éviter la morgue et la froideur de l'homme du nord ainsi que l'exubèrance et la faconde de l'homme du midi. Elle mettait ouvertement en cause le climat!


Mariage: Naturellement on n'abordait pas une jeune fille de but en blanc, il fallait envoyer un ambassadeur dans la famille de la jeune fille, et s'instruire avec tact si un arrangement était possible, puis organiser une rencontre sans éveiller le soupçons de la belle et voir si le jeune homme lui plait...

Notons: On sait qu'à la belle époque le mariage était un enjeu familial et social, et que les parents y présidaient généralement. Une fille devait rester chaste avant le mariage, on fermait les yeux sur les aventures des garçons pour peu que la fille soit d'un milieu plus modeste. Les jeunes filles faisaient souvent leur entrée dans le monde par des bals blancs, soirées organisées pour les garçons et filles à marier. En dehors de ces bals la famille et amis peuvent se mettre en quête de l'oiseau rare (rang, dot, opinions politiques et religieuses...) pour ensuite organiser les présentations. Le contrat de mariage est signé chez le notaire.

La finalité du mariage reste de toute façon la procréation et l'éducation des enfants. Le divorce est autorisé, mais rare et trés mal vu. La valeur mariage est reconnue de presque tous. Ajoutons, évolution des mœurs oblige, que la coutume de faire chambre à part devient de moins en moins courante à la belle époque.

Visites: Grand rituel de l'époque. On se devait des visites de cérémonie entre collégues, des visites de convenances chez les connaissances, des visites de digestion quinze jours aprés un diner, des visites de noces, de congé, de retour, etc. Les dames d'un certain rang avaient même un jour spécial dans la semaine pour recevoir... Á moins de recevoir comme les autres maitresses de maison de trois à six. Si on ne trouvais personne au logis on devait laisser sa carte corné, pour signaler sa venue. Dans ce cas la visite devait être rendue comme si elle avait été effectuée. 

Carte de visite: Il était d'usage de s'envoyer des cartes de visites chaque année lors du nouvel an. L'envoi d'une carte équivalait à une visite, d'où leur appellation. 

Diners: Un grand moment du savoir-vivre, que ce soit du coté de la maitresse de maison qui doit être experte en art culinaire et veiller à la bonne teneur des conversations tout en s'effaçant devant ses invités, que du coté des convives. Aprés l'annonce rituelle Madame est servie, les messieurs prennent le bras de la dame que la maitresse de maison leur a indiqué et l'améne à table pour l'assoir à leur droite. Un invité d'honneur est placé à droite de la maitresse de maison (ou du maitre de maison si c'est une dame). Il est de notoriété que la généreuse courtoisie place les femmes au dessus des hommes.

Appellations: Les domestiques parlent à leur maitres à la troisième personne. Les époux sont appellés Madame et Monsieur. La fille ainée est appellée Mademoiselle, les autres filles Mademoiselle + prénom. Les fils sont toujours appellés Monsieur + prénom. Les enfants disent mon pére, ma mère.

Jeunes femmes: Selon notre fameuse baronne, elles ne devraient jamais sortir en la seule compagnie d'un homme autre que leur frére, père ou époux (protecteurs ntaurels!). Ou alors elle devait sortir avec une dame de compagnie plus agée, afin que celle-ci ne puisse être considérée comme sa complice. Une jeune fille évite ainsi de compromettre son honneur et avenir, une jeune femme mariée de compromettre l'honneur de son mari, de ses enfants, etc. Pour se retenir, la baronne Staffe fait appel au sentiment d'équité à l'égard de celui dont la femme porte le nom, la dignité féminine, et surtout la tendresse maternelle!

Notons: On sait qu'a la belle époque les filles n'avaient guère accés aux études supèrieures, et que sa vocation était de devenir une maitresse de maison. Les filles sont laissées dans une grande ignorance des choses sexuelles, et découvrent assez souvent presque tout lors de leur nuit de noces. La loi faisait de la femme une mineure (codifié par le code civil de 1804!), se devant d'être réservée, et soumise à son mari qui était le chef de la famille. L'idéal féminin reste la femme au foyer. Effectivement les hommes dominent la société, politiquement, économiquement, par leur influence culturelle ou intellectuelle. 

Ci-dessous: en 1908 deux femmes se battent en duel au bois de boulogne pour des raisons amoureuses, un scoop! la baronne Staffe a sans doute désapprouvé!

Deuil: On se devait de porter le deuil. Une veuve le portait deux ans. Le long deuil austère durait toute une année, puis on revenait à la vie normale petit à petit. Les femmes portaient le chapeau à long voile tombant sur le visage, les hommes portaient gants noirs, crêpe au chapeau (mais avec les tenues plutot noires des hommes de cette époque cela était beaucoup plus discret). On ne devait recevoir aucune visite durant six semaines. 

À l'armée on portait le deuil de famille avec un crêpe au bras gauche, un deuil militaire se portait avec un crêpe à l'épée. Les officiers devaient porter durant un mois le deuil de leur chef de corps. L'armée rendait les honneurs funèbres à ses membres morts sous les drapeaux.


Duel au pistolet derrière les tribunes de Longchamps - Le monde moderne 1899

Duel au pistolet en 1899     Duel au pistolet en 1899

Duel à l'épée Macola-Cavallotti - Le monde moderne 1899

Duel au fleuret 1899     Duel au fleuret 1899


Source: Usage du monde: règles de savoir-vivre dans la société moderne - Baronne Staffe - Editions Tallandier 2007
La belle époque - Michel Winock - Tempus - 2003